Le Génie de Sieradz
Zygmunt Frenkel, Mistrz fryzjerski Antoni "Antoine" Cierplikowski w swojej pracowni tworzy fryzurę dla jednej z gwiazd / NAC
Julian Tuwim, illustre poète polonais, écrivait : « Je m’installerai en automne à Kutno ou à Sieradz… » en exprimant ainsi sa nostalgie d’une province profonde. Qui aurait pu deviner que dans la petite ville qu’était Sieradz, juste à la fin du XIXe siècle, viendrait au monde un artiste, sculpteur de têtes, futur coiffeur mondialement connu, Antoine. Il s’appelait Antoni Cierplikowski (1894-1976). Né dans la famille d’un pauvre cordonnier et d’une couturière, il était autodidacte. Un jour, sa mère lui prédit son destin : « Mon fils sera un artiste. »
Le sort lui sourit lorsqu’il coiffe Mme Ginsberg à Łódź, envoyé par son oncle coiffeur trop ivre pour s’occuper de sa cliente. Celle-ci, éblouie par sa coiffure, s’écrie : « Mon garçon, allez absolument à Paris ! Là est votre place ! » Elle ne se trompe pas. Avec cinq francs en poche, Antoni débarque dans un atelier de perruques à Paris, une cave assez triste. Là, la chance le précède. On l’envoie coiffer des jeunes filles qui espèrent se montrer étonnantes pour la fête de sainte Catherine. On raconte qu’une des dames invitées à une réception importante avait oublié son chapeau. Antoine improvise sur sa tête une composition digne de sa coiffe perdue. Mais le tournant dans sa carrière est marqué par la rencontre avec une actrice en vogue, Eve Lavallière, qui doit jouer dans un film le rôle d’une femme beaucoup plus jeune qu’elle. Indécis, Antoine cherche son inspiration. Soudain, une fillette entre dans le salon avec un courrier. Eureka ! En un clin d’œil, il décide de la prendre pour modèle et il coupe les cheveux de la star. Moment historique ! La garçonne est née et avec elle une femme émancipée. Sensation ! Dès lors, on s’arrache Antoine. Des célébrités se pressent sous son peigne et ses ciseaux : Pola Negri, Greta Garbo, Brigitte Bardot, Marlène Dietrich, Edith Piaf… La rumeur arrive jusqu’aux têtes couronnées. Antoine, autrement dit « Antoś de Russie », ouvre son salon à Paris. Pour le couronnement de George V, il a la haute main sur 400 coiffeurs. Il invente la fameuse « coupe de vent » inspiré par le souffle de modernisme des années 30. Ses créations s’affichent dans le magazine « Vogue ». Viennent bientôt une ligne de cosmétiques, des créations pour le théâtre et les revues, chapeaux et costumes. Joséphine Baker séduit Paris par sa féminité exotique, coiffée en « anneaux », sa dernière invention. Des femmes de l’autre côté de l’Océan réclament le génie qui les rendrait modernes, parmi lesquelles Eleonora Roosevelt. Hollywood s’affole.
Antoine ne s’arrête pas aux têtes des femmes. Sa vision est beaucoup plus large. Il développe son goût esthétique en collectionneur d’art, amateur de Modigliani et Picasso. Ses salons prolifèrent dans le monde entier : Cannes, Marseille, Londres, Tokyo, New York, 110 salons et seulement deux à… Varsovie. Pour célébrer le cinquantième anniversaire de ses créations, le Théâtre des Champs-Elysées donne un gala. Antoine semble comblé. Malgré tout, quelque chose lui manque. Où peut-il être vraiment heureux ? Devinez… Bien sûr, à Sieradz ! Il y revient en 1962, s’installe dans une modeste maison, rue Wierzbowa. Là rien ne lui manque, il a tout pour son plein bonheur : un ami-voisin, un curé, un chien, un hamac dans le jardin. Il occupe son temps à animer la vie culturelle locale, fonde un centre d’art et une association d’amis de Sieradz. Voilà une carrière bien étrange… Il reste le roi incontestable des coiffeurs et le coiffeur des rois, créateur d’une femme moderne, avant tout quelqu’un de talentueux qui a osé innover.
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