Gombrowicz à Paris
Bohdan Paczkowski, portret Witolda Gombrowicza, Vence, 1981 (detal), Café de Flore / Wikimedia Commons
« Oui, je suis anti-parisien. Mais à travers Paris, c’est toute une culture européenne que je vise… » écrivait Gombrowicz après son long exil en Argentine. Comment trouve-t-il cette Europe après 23 ans d’absence ? Elle le rapproche de sa patrie et lui tend son propre portrait d’homme vieilli et malade. Est-ce pourquoi il déteste Paris avec sa laideur bourgeoise sous des couches de fards et de vêtements de Dior ? Il voit cette laideur partout, même pendant ses promenades solitaires au jardin désert des Tuileries. Là, il se perd parmi des statues nues comme dans une forêt. La beauté et la jeunesse qui l’obsèdent toujours se déguisent en histoires mythologiques, beauté toujours menacée. Une meute de chiens dévore Actéon, le punissant ainsi pour la poursuite de Diane.
Peu de choses trouvent grâce à ses yeux à Paris. Il déteste le Louvre avec son accumulation idiote d’œuvres jusqu’à la nausée. Il déteste les intellectuels, chacun avec sa « gueule », sa pose. Personne ne sait lui dire de quoi parle Sartre puisque personne ne l’a lu ni compris. Proust le révulse, de même que les réalistes et les naturalistes. Seul Montaigne l’enchante mais Gombrowicz semble se griser plutôt d’impressions épidermiques, lui, métèque dans cet ancien pays où on privilégie les goûts gastronomiques et esthétiques, où l’on s’habille pour couvrir la nudité de vieux corps flétris. Paris, ce sont des vieillards qui regardent avec convoitise la jeune Suzanne. Malgré tout, ce vieux Paris est une marche incontournable dans sa carrière. Un cortège de compatriotes du milieu de Kultura, Jeleński, Czapski, Giedroyć, Sandauer, tous rament pour convaincre les critiques parisiens de l’importance de son œuvre. Et Gombrowicz réussit à éveiller la curiosité des étrangers par sa prétention au génie. (Malgré tout, impossible de se défaire de sa « gueule ».) On publie Ferdydurke en 1953 dans « Preuves », revue fondée à Berlin par un groupe d’anti-communistes, adversaires de Sartre. On reconnaît en lui, peu à peu, un maître de non-conformisme. Mais ses compatriotes en Pologne (dont il « nostalge » toujours, se montrent venimeux à cause de son anti-patriotisme ostentatoire. Ils vont jusqu’à l’accuser d’une insensibilité devant les milliers de victimes de guerre. Partout exilé, Gombrowicz ne retrouve plus son « chez soi ». Voilà son destin ! Libéré de sa famille et de sa nation, il consent à être un exilé spirituel par sa condition d’écrivain. Oui, il aspire à l’universalité de son œuvre, ce qui paraît juste, lui, un rare écrivain polonais qui atteint une notoriété internationale. Il s’acharne même à être reconnu tel tandis que ses confrères de plume, un Witkacy ou un Schulz, demeurent coincés dans le pays aux confins de l’Europe qu’est la Pologne.
Allez vous promener au Théâtre de l’Odéon, à l’Université Panthéon-Assas, au restaurant le Boul’Mich, au café de Flore, aux Deux Magots, à la Comédie Française, au Café de la Paix, à l’Opéra Garnier… Peut-être y trouverez-vous des fantômes de ses œuvres, Pimko, Syfon, Ivonne, princesse de Bourgogne… Que reste-t-il aujourd’hui de sa vigueur de dénonciateur des poses, des habits ? Où trouverons-nous la nudité juvénile de la culture ?
« Il y a un art pour lequel on est payé, un autre pour lequel on paye », disait-il. Lui, il a payé pour le sien. Personne suivante… Il n’y a plus aucun candidat pour le Panthéon littéraire ?
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